Sculpture: les années d'apprentissage

Publié par Fabienne Soubrenie

Luigi Da Gioz-FSoubrenie

Ce que je découvre ce matin-là, c’est une petite église attenante à une salle servant de mosquée, un jardin orné de roses et quelques blocs de pierre différente, par-ci par-là. Sur le côté, trône un bâtiment en préfabriqué. Règne une atmosphère de sérénité. Le temps semble s'être arrêté dans cet endroit. On a l'impression d'un bric à broc mais tout y est savamment ordonné. Cela, je le découvrirais plus tard. Je suis conquise, j'aime déjà l'endroit.

Néanmoins, je n’ai aucune idée de ce qui m’attend. On me présente un grand bonhomme aux cheveux grisonnants, presque blanchis, l’œil malicieux avec de grands gestes à l’italienne. Le courant passe de suite. J’entre dans ce qui sera pendant quelques années mon temple d’apprentissage. Des outils, des compresseurs, des stèles, des affiches d'exposition de maîtres presque sur tous les murs, de la poussière de pierre qui enivre l'endroit et le plancher craque sous mes pieds.

Luigi me présente les outils : broches, gradines, massettes,…Il me les met en main me demandant de choisir, car elles ont une saisie et des poids différents. Il faut donc tout observer, tâter, ressentir.

Puis vient le moment tant attendu. L'excitation d'apprendre me tord les tripes. Ne serait-ce qu' un seul geste, juste pour essayer. J'enfile donc un tablier qu'il me prête, des lunettes de protection, même pas de gants...pour ressentir.

- « Il faut être à l’aise » me dit-il. J’écoute et j’observe, fascinée par sa façon de tailler.

- « A ton tour ! » Pas fière, je commence…Il corrige mon inclinaison. Sagement, je m’exécute.

- « Plus souple, le poignet ! »

Cette pièce est bien avancée, c’est une commande en marbre blanc de Carrare, et moi, je n’ai jamais taillé de ma vie, jamais sculpté d’ailleurs. Alors j'ai l'angoisse de la casser, mais je respire profondément sur trois inspires et trois expires. Et hop, c'est reparti! Je suis hyper concentrée.

Le voilà, d’un seul coup, qu’il s’en va, me laissant au travail qu’il vient de me confier.

Tout d'abord, j'ai cru à une envie urgente. Que nenni! Il est parti faire autre chose avec une autre pierre dehors dans le jardin. Je me raidis dans l’exécution tellement son acte me surprend, en me disant que, quelque part, il est fou ou inconscient de faire ça !

Alors je me concentre, j’essaie de m’assouplir et je garde le rythme. Un certain temps passe, et revoilà ce grand bonhomme qui franchit de nouveau le seuil de l’atelier.

- « Buono ! » Son œil inspecte.

Intermède par la personne qui m’accompagne et essaie de me conseiller.

- « Fous-lui la paix, elle a compris ! Je sais que c’est bon, au son, je sais que c’est bon !», et me regardant droit dans les yeux il me dit :

- « Tu reviens lundi ? »

- « Ok ! » , et je souris. En réalité, intérieurement je jubile, j’en suis très excitée par avance.

Je suis comme un(e) enfant quand il/elle reçoit un cadeau et que pour lui/elle à cet instant présent c'est le plus beau du monde. Et oui, pour moi, c'est un de mes plus beaux cadeaux de la vie.

L'élan végétal détail 2 8936 copie

De 3 à 4 jours par semaine pendant quelques années, je vais apprendre, et comme tout bon italien, il parle il parle il parle, mais c’est un vrai bonheur car j’ai des cours d’histoire de l’art, d’anthropologie, d’anatomie. On discute, on échange, on partage, on s’écoute. Il me demande régulièrement conseils et tiens compte de mon avis. Bien souvent, je finis mes longues journées avec quelques bouquins empruntés dans sa bibliothèque, "mes devoirs" dit-il.

Et voilà que se présente un gros projet. « Il marmo di Carrara » est énorme, même pas pré-taillé, tout droit arrivé des carrières toscanes. Luigi a commencé une étude en terre. Nous discutons des flèches de cathédrales, de voilure, de la verticalité et des compositions organiques de la nature liées à notre intérêt commun pour l’architecture vernaculaire et le design organique.

L’étude en terre réalisée, la maquette en plâtre effectuée, nous entrons tous les deux dans la création de ce projet fou. Il faut d’abord dégrossir ce bloc, et cela se fait à la broche. Dessus, j’apprends tout ce que je peux: dégrossissage, maîtrise du compas de sculpteur, taille, utilisation des compresseurs…

En intermittence, je commence à préparer ma pièce personnelle : « Light and Liberty », car je dois également apprendre à tailler le marbre noir, plus explosif, le polissage ainsi que la patine.

Cette grosse pièce, que nous avons fini par baptiser « l’élan végétal », nous prend beaucoup de temps. Le reste des fonds n’arrive pas, mais le projet est commencé, donc nous continuons.

Elle est presque achevée quand je quitte l’atelier.

L'élan végétal côté 8920 copie

Quelques années ont passé, et c’est avec un pincement au cœur et une certaine nostalgie que je franchis à nouveau le seuil de la porte. Elle est toujours là, au milieu de l’atelier, comme je l’ai quittée.

Cette sculpture en marbre de Carrare " L'élan végétal " a été renommée "L'algue blanche". Elle appartient à la commune de Saint-Jean-de-Monts et elle est exposée au palais des congrès Odysséa.

Fabienne Soubrenie

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